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Actualité de l'astronomie du 22.11.2020 / Démolition annoncée d'Arecibo : "Nous l'avons tant aimé" disent les astrophysiciens.

Démolition annoncée d'Arecibo : "Nous l'avons tant aimé" disent les astrophysiciens

 

 

Par Sciences et Avenir le 20.11.2020 à 18h39

Le célèbre télescope de Porto Rico va être démonté après 57 ans d'exploitation. Pour Sciences et Avenir, des scientifiques disent leur attachement à un instrument devenu une icône. Les témoignages de Catherine Cesarsky, David Elbaz, Franck Marchis, Elisabeth Piotelat, Alain Lecacheux, Alain Herique et Patrick Michel.

Le radiotélescope d'Arecibo

Le radiotélescope d'Arecibo va être démoli après 57 ans de bons et loyaux services.

HANDOUT / SATELLITE IMAGE ©2020 MAXAR TECHNOLOGIES / AFP

Clap de fin pour Arecibo. On savait le célèbre télescope installé à Porto Rico fragilisé par une série d'accidents qui menaçait l'intégrité de sa structure. La communauté des astrophysiciens espéraient néanmoins qu'il pourrait être sauvé : il n'en sera rien, la Fondation nationale des sciences américaines ayant annoncé jeudi 19 novembre 2020 que l'instrument allait être démantelé, après 57 ans d'exploitation. Un coup dur pour la science internationale, mais aussi un coup au coeur pour les chercheurs, tant le radiotélescope avait accédé à une position presque iconique. Pour Sciences et Avenir, plusieurs scientifiques témoignent de leur attachement à Arecibo.

 

"Un mélange de haute technicité et de forêt tropicale qui m’a fait rêver pendant longtemps"

Catherine Cesarky, astrophysicienne, Haut conseiller scientifique au CEA, membre de l’Académie des sciences :

"Je suis vraiment triste d’apprendre que le radiotélescope d’Arecibo sera démantelé. Je l’ai vu de mes propres yeux en 1971, à l’occasion d’une réunion de l’American Astronomical Society à Puerto Rico. Ce mélange étrangement harmonieux de haute technicité et de forêt tropicale m’a fait rêver pendant longtemps. L’énormité même de l’instrument le rendait fascinant. Je ne m’en suis jamais servie moi-même, mais tout au long de ma carrière j’ai vu apparaître des résultats importants dans des domaines divers obtenus avec ce télescope. Je pense en particulier aux travaux de mes collègues et amis Martha Haynes et Riccardo Giovanelli qui ont pour la première fois obtenu une vue à trois dimensions des filaments de matière qui structurent l’Univers à grande échelle, ce qui leur a valu une médaille en 1989 (Martha Haynes et Riccardo Giovanelli travaillent à l'Université de Cornell dans l'Etat de New York qui était jusqu'à récemment quasiment propriétaire du télescope d'Arecibo, NDLR). Depuis, ils ont mis en œuvre un relevé de la matière ténue dans l’univers, ALFALFA, toujours en cours d’exploitation. La vitesse de ces mesures devait être prochainement augmentée d’un facteur 5 grâce à une remise à niveau, ALPACA. Martha, qui a obtenu en 2019 une autre médaille (Bruce Gold Medal) a dit à cette occasion : 'Il y a une science formidable à faire avec Arecibo, et je n’en ai pas encore fini !' Je suis triste pour elle et pour toute la communauté, même si je suis convaincue que l’avenir de la radioastronomie à ces fréquences n’est pas dans les grandes antennes mais plutôt dans les réseaux étendus d’antennes plus petites, comme pour le projet SKA en Afrique du Sud".

David Elbaz, astrophysicien au CEA Saclay (Commissariat à l'Energie Atomique et aux énergies renouvelables) :

"Avec la fin du télescope d’Arecibo, nous perdons un oeil géant tourné sur l’Univers. Chaque fenêtre sur l’Univers, chaque observatoire, détient une capacité de découverte unique. Espérons que la perte de ce géant soit très vite compensée par l’arrivée tant attendue du SKA, un oeil aux multiples facettes télescopiques d’un kilomètre carré".

 

 

"Une icône, mais aussi un instrument pharaonique qui se dégradait depuis l'ouragan Maria en 2017"

Franck Marchis, astronome à l'Institut SETI, président de la start-up Unistellar :

"Arecibo est une icône dans l’astronomie, une vaste génération d’astronomes ont vu quand ils étaient jeunes la scène de Goldeneye avec James Bond mais aussi ont suivi les remarquables projets SETI qui y ont été fait dans les années 1990. C’est une partie de notre histoire d’astronomie qui va disparaître. Néanmoins, il faut être réaliste, c’est un instrument pharaonique construit dans une zone tropicale qui a été abîmé par l’ouragan Maria en 2017 et qui depuis se dégradait progressivement. L’entretien de ce type d’instrument coûte une fortune et son intérêt scientifique a diminué avec l’arrivée de réseau interférométrique comme le MeerKAT, ATA, VLA, et bientôt le SKA. Nous avions justement eu une discussion à ce sujet lors de notre dernier talk SETI sur la fin des grandes antennes avec deux jeunes astronomes qui sont justement impliqués sur ces projets et ils n’ont pas mentionné une seule fois l’utilisation de Arecibo pour leur recherche (SETI, FRB…). C’est le signe que les grandes antennes sont désormais inadaptées aux thèmes de recherches actuels. Pour mes travaux, Arecibo est un instrument qui a été utilisé pour déterminer la forme et la taille d’astéroïdes. Cette fois encore nous savons désormais faire ce genre d’étude par d’autres techniques, moins coûteuses et tout aussi performantes, comme l’imagerie directe en optique adaptative sur les télescopes de 8m comme le VLT et même l’utilisation de réseaux de petits télescopes, comme Unistellar, pour déterminer la forme et la taille par occultation et par courbe de lumière. Ce qui intéresse dans ce cas, c’est la flexibilité du réseau, son faible coût mais aussi la possibilité de chacun des astronomes citoyens de participer a cette aventure scientifique".

 

"Arecibo a montré l'intérêt d'une vision à long terme comme celui de la recherche fondamentale"

Elisabeth Piotelat, ingénieure de recherche au CNRS, membre du comité permanent SETI de l'académie astronautique international :

"Alors que les radioastronomes ont souvent du mal à partager leurs découvertes, qui se résument à des courbes et non à des belles images comme l'astronomie classique peut en fournir, le radiotélescope d'Arecibo a été un formidable outil pour faire rêver à une vie ailleurs. Personnellement, les images de Carl Sagan devant le radiotélescope d'Arecibo, comme celle de Jean Heidmann devant le radiotélescope de Nançay, ont alimenté mon imaginaire d'enfant et l'envie de devenir ingénieure pour construire des antennes ou des vaisseaux spatiaux. Pour les plus jeunes, c'est le film Contact dont une partie a le radio télescope d'Arecibo comme décor, qui a fait rêvé des astronomes en culotte courte. « J'ai besoin d'une plus grande antenne ! » dit la petite Elie Arroway au début du film. Côté science, rappelons qu'il est lié à la recherche de signatures technologiques depuis l'envoi d'un message en 1974. Le 16 novembre 1974, pour tester la puissance d'émission du nouveau radar installé au radiotélescope d'Arecibo, un message conçu par Frank Drake et Carl Sagan a été envoyé vers l'amas globulaire M13 qu'il atteindra dans 25000 ans. L'humanité doit-elle signaler sa présence dans l'Univers, au risque d'être attaquée par des extraterrestres plus avancés que nous ? La question fait toujours débat... Quoiqu'il en soit, la recherche de vie dans l'Univers continue avec des instruments répartis dans le monde entier. En ayant rendu service pendant près de 60 ans, le radiotélescope d'Arecibo a montré l'intérêt d'une vision à long terme et de la recherche fondamentale..."

 

"La nouvelle du démantèlement est consternante"

Alain Lecacheux, du Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique à Paris :

"J'ai effectué deux séjours mémorables à l'Observatoire d'Arecibo dans les années 80-90. Au-delà du retour scientifique de ces missions d'observations effectuées avec « le plus grand instrument au monde », je garde aussi le souvenir d'un site et d'une équipe dont l'extrême exigence technique et scientifique n'excluait pas la chaleur de l'accueil ni le soin apporté au confort de notre séjour. Un endroit extrêmement vivant et passionnant (et sans doute l'est-il encore !), avec beaucoup de jeunes chercheurs en formation, une ouverture vers le grand public affirmée, et un mélange assez subtil de cultures et d'usages nord-américains et espagnols. La nouvelle du démantèlement est consternante puisqu’en dépit d'un certain déclassement dans les priorités de la NSF et des pouvoirs publics américains depuis une dizaine d'années, le radiotélescope d'Arecibo restait incontournable à court et peut-être même à moyen terme pour résoudre plusieurs questions fondamentales en astrophysique".

 

"C’est triste de voir cette page se tourner alors qu’il apportait encore des contributions majeures"

Alain Herique, de l’Institut de Planétologie et d'Astrophysique de Grenoble :

"J’étais à Arecibo en janvier dernier (2020, NDLR) : dernier voyage avant le confinement ! Avec l’équipe de sciences planétaires, nous travaillions alors sur la possibilité d’observer la structure interne d’astéroïdes géocroiseurs en faisant du radar « bistatique » entre une sonde spatiale et Arecibo. Le 5 novembre, nous avions présenté le concept pour une mission vers l’astéroïde Apophis en 2029, lors d’un congrès (virtuel). C’était la veille de la seconde rupture de câble et c’était sous réserve de la remise en état du radar. En janvier dernier, il n’était déjà plus possible d’accéder à la plateforme du radiotélescope. L’île subissait une série de tremblements de terre jusqu’à des magnitude 5-6. Tout le monde craignait qu’une secousse plus forte ne provoque des dégâts. Les opérations étaient restreintes à des activités d’écoute passive, avec la plateforme fixe en position centrale pour limiter les tensions sur les câbles et les pylônes. Même l’accès à la base de la parabole était interdit en raison du risque de chute de pierre. Tout le monde s’inquiétait du risque de fragilisation de la structure… La démolition d’Arecibo, c’est la fin d’une aventure humaine et scientifique de près de 60 ans. Arecibo est le point de départ de l’étude radar des planètes, des satellites puis des astéroïdes et des comètes. C’est triste de voir cette page se tourner alors qu’il apportait encore des contributions majeures. Il y avait encore tant de chose à faire ensemble… J’avais d’ailleurs prévu d’y retrouver en 2021. Aujourd’hui je pense surtout au devenir de tous les collègues que j’ai rencontrés là-bas".

 

"Je suis bouleversé par l’annonce du démantèlement de ce magnifique instrument"

Patrick Michel, de l’Observatoire de la Côte d’Azur :

"J’avais eu l’occasion de voir le radiotélescope d’Arecibo lors du congrès de la Division des Sciences Planétaires de l’Association astronomique américaine en 2009, à Puerto Rico. C’est avec ce radiotélescope que le message d’Arecibo avait été envoyé en 1974, co-écrit par Carl Sagan. Trois ans plus tard, cette même division m’attribuait la Médaille Carl Sagan pour excellence en communication au grand public. Cela crée des liens ! Ce radiotélescope a par ailleurs contribué à la détection de la lune de l’astéroïde binaire Didymos et au modèle de forme du corps principal. Cet astéroïde double est la cible de la mission DART de la NASA et Hera de l’ESA dont je suis l’investigateur principal (ou responsable scientifique), missions qui visent à étudier les effets d’un impacteur sur un astéroïde potentiellement dangereux. Il y a donc des tas de raisons personnelles (en plus des raisons scientifiques) qui font que je suis bouleversé par l’annonce du démantèlement de ce magnifique instrument…"Propos recueillis par Philippe Pajot, Franck Daninos, Fabrice Nicot et Olivier Lascar

Source: https://www.sciencesetavenir.fr/espace/demolition-annoncee-d-arecibo-nous-l-avons-tant-aime-disent-les-astrophysiciens_149315

 

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