Actualité de l'astronomie du 15.01.2021 / Un trou noir supermassif périodiquement en éruption produisant des crêpes stellaires ?
- Par dimitri1977
- Le 15/01/2021 à 21:04
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Un trou noir supermassif périodiquement en éruption produisant des crêpes stellaires ?
Laurent Sacco
Journaliste
Publié le 14/01/2021
Modifié le 15/01/2021
[EN VIDÉO] Que se passerait-il si vous tombiez dans un trou noir ? Les profondeurs des trous noirs sont des espaces de mystère et de fantasme, mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas les approcher de manière scientifique. Voyageons donc ensemble aux frontières de la réalité telle que nous la connaissons.
Plusieurs signatures de la destruction d'étoiles par un trou noir supermassif, selon un scénario exploré en détail par Jean-Pierre Luminet et Brandon Carter au début des années 1980, sont observées depuis quelques années. La dernière en date serait celle de ruptures par effet de marée partielles, avec des éruptions périodiques au cœur d'une galaxie de Seyfert.
Après avoir terminé l'année 2020 avec la publication de son livre sur sept voies de recherche différentes pour unifier la physique du modèle standard et obtenir une théorie quantique de la gravitation capable de percer les mystères des trous noirs et de la singularité cosmologique primordiale, étudiée notamment par le défunt Isaak Khalatnikov, Jean-Pierre Luminet doit apprécier à sa juste valeur la découverte annoncée en ce début d'année 2021 par une équipe internationale d'astrophysiciens.
Bien connu des lecteurs de Futura pour lesquels notamment il tient un blog, Jean-Pierre Luminet voit une nouvelle fois ses travaux sur les événements de rupture par effet de marée (en anglais tidal disruption event, TDE) très probablement confirmés par des observations. Mais il s'agirait ici d'un TDE partiel, contrairement à ceux déjà observés, notamment avec le Transiting Exoplanet Survey Satellite (Tess).
Dans le précédent article ci-dessous, Futura avait déjà exposé le phénomène de TDE avec celui observé et désigné par ASASSN-19bt (les deux derniers chiffres indiquent l'année, puis les lettres l'ordre des découvertes) qui avait donc été détecté le 29 janvier 2019 dans le cadre du All Sky Automated Survey for SuperNovae (en français, Relevé automatisé sur tout le ciel de supernovae), en abrégé ASAS-SN (prononcé « assassin »). Aujourd'hui, c'est ASASSN-14ko qui est sur le devant de la scène alors qu'il a été observé en 2014.
Des TDE périodiques
Comme l'explique en particulier une publication sur arXiv, ASASSN-14ko a ensuite à nouveau été connecté à des observations menées avec les instruments du Neil Gehrels Swift Observatory et du Transiting Exoplanet Survey Satellite (Tess). Des événements similaires ont ainsi été révélés dans la même galaxie de Seyfert de type II où était survenu ASASSN-14ko. Il s'agit de ESO 253-3, une galaxie spirale contenant deux régions actives et située à environ 570 millions d'années-lumière de la Voie lactée en direction de la constellation du Peintre (en latin Pictor, -is, abrégé en Pic), une constellation de l'hémisphère sud faiblement lumineuse.
À l'aide de données provenant d'instruments tels que l'observatoire Neil Gehrels Swift de la Nasa et le Transiting Exoplanet Survey Satellite (Tess), les astrophysiciens ont étudié et compté les explosions régulières d'un événement appelé ASASSN-14ko dans la galaxie ESO 253-3. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Goddard
ASASSN-14ko se présentait donc initialement comme une supernova en 2014 mais six ans plus tard, alors que Anna Payne (University of Hawaiʻi à Mānoa) examinait les données ASAS-SN sur les galaxies actives connues dans le cadre de son travail de thèse, elle a remarqué que les données collectées au cours des années pour établir la courbe de lumière d'ESO 253-3 montraient des pics de luminosité importants, un total de 17, et surtout périodiquement espacés d'environ 114 jours. Chaque pic atteignant sa luminosité maximale en environ cinq jours, puis diminuant progressivement.
Remarquablement, Payne et ses collègues se sont aventurés à prédire la récurrence de ce phénomène pour le 17 mai, le 7 septembre et le 20 décembre 2020. Toutes ces prédictions se sont révélées exactes.
Cette remarquable périodicité et le fait que ESO 253-3 contienne au moins un noyau actif de galaxie, généré dans le cas présent par ce qui semble être un trou noir supermassif de 78 millions de masses solaires, ont conduit les astrophysiciens à envisager trois scénarios pour rendre compte des observations.
Trois fois la masse de Jupiter arrachée tous les 114 jours
Le premier scénario fait intervenir l'existence probable d'un deuxième trou noir supermassif au cœur de la galaxie spirale et ce seraient des interactions entre les disques d'accrétion de ces deux astres compacts en orbite l'un autour de l'autre qui provoqueraient des éruptions périodiques. Mais si un deuxième trou noir existe bel et bien, ce qui reste à démontrer solidement, il semble finalement trop éloigné du premier pour générer les éruptions observées.
Dans le deuxième, on peut aussi faire intervenir le passage récurrent d'une étoile à travers le disque d'accrétion entourant le trou noir central de la galaxie de Seyfert, mais on aurait alors des éruptions de forme asymétrique.
Le troisième scénario, le plus favorisé, est donc comme annoncé celui d'un TDE partiel du genre de ceux prédits théoriquement par Jean-Pierre Luminet en 1986. Dans le cas présent, une étoile massive sur une orbite assez elliptique se rapprocherait suffisamment de l'horizon du trou noir supermassif pour que les forces de marée deviennent assez importantes pour amorcer le phénomène des crêpes stellaires décrit dans le précédent article ci-dessous.
Mais il serait tout de même moins violent de sorte que l'ogre cosmique au cœur de ESO 253-3 se contenterait d'arracher périodiquement d'importantes quantités de gaz à l'étoile mais au point de la déformer, sans la détruire ni conduire à son explosion finale sous forme de supernovae. On peut estimer que c'est ainsi une quantité de gaz égale à environ trois fois la masse de Jupiter qui est happée par le trou noir.
Ce serait au moment où le courant de gaz arraché heurterait le disque d'accrétion du noyau actif que le choc produirait les pics de luminosité observés. Clairement, ce phénomène ne peut pas durer éternellement mais les astrophysiciens ne peuvent encore dire quand il s'achèvera.
Pour Futura, Jean-Pierre Luminet commente longuement les circonstances qui l'ont amené à se pencher sur les TDE et les conclusions issues de ses travaux.
« En fait ce n'est pas dans les premiers papiers avec Brandon Carter (Nature 1982, A&A 1983) que j'ai décrit les ruptures partielles, mais dans un beaucoup plus gros papier de 1986, hélas bien moins connu et cité (j'aurais dû le couper en plusieurs!) - publié pourtant dans ApJ Suppl , où j'exposais tous les résultats techniques présentés dans ma thèse de doctorat d'état de 1985.
Nos premiers papiers étaient consacrés aux pénétrations profondes des étoiles dans le volume les entourant déterminé par ce que l'on appelle rayon de marée, provoquant comme vous le dites justement des crêpes transitoires et, in fine, de possibles supernovae maréales.
Dans ce cas les étoiles sont totalement détruites en une seule fois et ne peuvent donner qu'une seule flambée. Mais dans l'article de 86 (auquel Carter n'avait pas participé, mais il avait normalement co-signé en tant que directeur de thèse), j'ai calculé numériquement les interactions de marée entre un TN massif pour TOUS les paramètres d'impact - c'est-à-dire toutes les distances au périastre des orbites stellaires elliptiques (en fait quasi paraboliques), et divers types d'étoiles (séquence principale, géante rouge, naine blanche...).
Il est clair que pour avoir des ruptures partielles, l'étoile ne doit pas pénétrer trop profondément sous le rayon de marée. En fait j'avais proposé deux possibilités.
La première c'est quand la distance au périastre est légèrement supérieure au rayon critique de marée; les forces de la marée ne sont pas suffisantes pour détruire l'étoile mais elles induisent une rotation, une vorticité et des oscillations de ses axes principaux autour de valeurs moyennes (type ellipsoïde de Riemann), qui produisent des variations périodiques plus ou moins importantes de sa luminosité (dont je n'avais pas calculé l'amplitude, étant plus intéressé par les distorsions géométriques de l'étoile).
Les auteurs de l'article sur ASASSN-14ko ont négligé cette possibilité. Ils se sont concentrés sur le cas où l'étoile traverse peu profondément le rayon de la marée et n'est que partiellement détruite.
J'avais calculé que dans ce cas, l'étoile est déformée non pas en crêpe mais dans une configuration de type « cigare », perdant un peu de sa matière par les deux bouts (en fait, un effet « tube de dentifrice » plutôt que cigare; les schémas de mon article sont très explicites).
En réalité, outre le facteur de pénétration, la description du processus de perturbation ou de destruction maréale dépend beaucoup du type d'étoile. Il y a une grande différence entre une étoile de type solaire assez homogène et une géante rouge très inhomogène - la raison est que les effets de marée sont très sensibles à la densité du corps extérieur.
Par exemple, une étoile presque homogène comme le Soleil sera plus globalement affectée par le champ de marée qu'une géante rouge, et on pourra lui affecter un rayon de marée critique unique. Mais dans le cas d'une géante rouge (ou bleue, en fait une étoile très inhomogène), c'est un peu comme s'il y avait deux rayons de marée distincts, l'un agissant sur les couches extérieures, l'autre, bien plus petit, sur le noyau beaucoup plus dense. Ainsi, entre ces deux rayons critiques, seules les couches externes de faible densité de la géante seraient arrachées par la marée, tandis que le noyau stellaire resterait indemne. L'étoile peut alors perdre quelques masses jupitériennes de son enveloppe à chaque passage au périastre de son orbite périodique.
Tous mes calculs numériques de 1986 (linéarisés dans le cadre du modèle d'étoile affine que nous avions précédemment développé avec Carter) ont été ultérieurement confirmés par des simulations 3D hydrodynamiques (Guillochon, etc.), cités à juste titre dans l'article sur ASASSN-14ko.
Explications en anglais de la découverte de G2 par les astronomes en 2011. Pour voir les sous-titres, cliquez sur « CC », puis sur « traduire les sous-titres » pour choisir la langue en cliquant dans la barre. Sélectionnez « français », puis « OK ». La traduction est assez bonne. © SpaceRip, ESO, YouTube
J'étais finalement été surpris que ce type d'événements n'ait pas été détecté plus tôt, car les TDE partiels sont statistiquement plus fréquents que les TDE complets, pour lesquels on a déjà un catalogue de plusieurs dizaines de cas. Mais bien sûr, ce genre d'observations est plus difficile car il demande un suivi de plusieurs années pour en déceler une périodicité.
Maintenant, une telle chose peut-elle arriver à l'une des étoiles de l'amas central autour de Sagittarius A* dans notre Voie Lactée ?
J'avais estimé que la fréquence moyenne d'une TDE dans notre centre galactique, compte tenu de la répartition supposée des étoiles autour de celui-ci, serait d'environ 0,0001/an. Il y a donc peu de chances que nous observions un tel événement à l'heure actuelle.
Vous savez que, pour le moment, l'étoile observée passant à la distance la plus proche de Sgr A* , la fameuse S2, a une distance au périastre bien supérieure au rayon de marée. Elle subit quelques perturbations relativistes comme la précession orbitale et le redshift gravitationnel (récemment observés par l'instrument Gravity de l'ESO), mais pas du tout de perturbation maréale.
Il y a quelques années, on avait annoncé que le nuage errant G2 passerait près du trou noir galactique et, en raison de sa faible densité, devait être détruit, or rien de tel n'avait été observé, ce qui montrait qu'il reste beaucoup de travail à faire pour mieux comprendre les TDE, y compris des observations VLBI du Next Generation Event Horizon Telescope ».
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