LE 12.07.2020: Actualité de l'astronomie / L'Europe peut-elle prendre le leadership de l'exploration humaine ?
- Par dimitri1977
- Le 12/07/2020 à 13:41
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L'Europe peut-elle prendre le leadership de l'exploration humaine ?
Journaliste
Plutôt que de laisser le leadership de l'exploration humaine de la Lune aux États-Unis, l'Europe pourrait viser la conquête scientifique et industrielle, et stimuler ainsi un écosystème durable sur la Lune ! Clarisse Angelier, déléguée générale de l'Association nationale de la Recherche et de la Technologie (ANRT), qui pousse vers cette stratégie, nous explique l'intérêt pour les industriels européens du secteur spatial et hors spatial d'investir massivement dans l'exploration de la Lune.
Alors que les États-Unis se préparent à retourner sur la Lune, entraînant avec eux leurs partenaires dans le programme de la Station spatiale internationale et des entreprises du secteur privé américain, ce regain d'intérêt pour la conquête spatiale est absent des discours politiques en Europe. Si les ambitions dans le domaine spatial sont bien présentes au sein de la Commission européenne, étonnamment l'exploration de la Lune ne suscite pas un engouement aussi important qu'aux États-Unis et en Chine.
Contrairement aux États-Unis où le pouvoir politique et la Nasa ont réussi à stimuler des entrepreneurs et industriels du secteur privé, non spatiaux -- à la fois dans les domaines scientifique, technique et économique --, l'Europe semble avancer à tâtons. En mai 2019, Jim Bridenstine, administrateur de la Nasa, l'affirmait ainsi clairement dans une interview à The Verge : « Nous nous tournons vers le secteur commercial pour qu'il nous propose ses idées et ses visions afin d'aller du Gateway à la surface de la Lune. L'industrie privée fournira un service pour les astronautes américains et nous attendons d'elle qu'elle fasse ses propres investissements dans l'atterrisseur. Avec l'objectif pour elle d'avoir d'autres clients que la Nasa, notamment internationaux ». Alors qu'aux États-Unis se met en place une économie spatiale en complément du programme Artemis de retour sur la Lune de la Nasa, le risque est grand que l'Europe soit absente de cette économie ou qu'elle soit contrainte de s'orienter sur des segments moins porteurs en matière d'attractivité économique, de recherche et développement.
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Faire émerger un écosystème européen intersectoriel sur la Lune
« Nous souhaitons stimuler l'émergence d'un écosystème européen intersectoriel élargi au-delà des acteurs historiques du spatial autour de la participation du Cnes et de l'ESA à l'exploration humaine et robotique de la Lune », explique Clarisse Angelier, déléguée générale de l'Association nationale de la Recherche et de la Technologie (ANRT). Le temps est venu d'embarquer les industries et services du non spatial « qui n'ont pas encore connaissance des atouts que les services et produits spatiaux peuvent leur apporter » ; il en est de même pour le monde universitaire afin de créer « un écosystème européen désireux de contribuer de façon durable et en autonomie aux missions cislunaires et lunaires ». L'ANRT est persuadée que de nombreuses sociétés privées qui ne sont pas du secteur spatial pourraient trouver un intérêt à participer à des programmes liés au retour de l'Homme sur la Lune. Et pas « seulement en termes de recherche et de développement ». En stimulant un écosystème durable sur la Lune, « des débouchés économiques sont possibles, comme le sont des avancées environnementales ou sociétales pour la Terre ».
Avec l'établissement de postes avancés et l'installation d'une base permanente sur la Lune, les industriels européens qui ne sont pas du secteur spatial pourraient trouver un intérêt à participer à des programmes liés au retour de l’Homme sur la Lune. © ESA, P. Carril
Faire jeu égal avec les États-Unis et la Chine
Pour les aider à prendre conscience du rôle qu'ils ont à jouer dans l'installation d'une base lunaire et les inciter à proposer des idées pour stimuler ce retour sur la Lune, l'ANRT se propose de les « fédérer au niveau européen de façon à créer dans un premier temps des liens entre les industries et les agences spatiales, et favoriser l'innovation intersectorielle ».
« Effectivement, souligne Didier Schmitt, le coordonnateur de la proposition pour le Conseil des ministres de l'ESA pour l'exploration robotique et humaine, que ce soit la médecine (télé-médecine), l'habillement (ex. anti-bactérien), le recyclage de l'air et des eaux usées, le divertissement, la manufacture additive de pièces de rechange ou la production de nourriture, des innovations seront nécessaires et les entreprises du secteur spatial n'ont pas toutes ces compétences ». Il faudra donc créer des alliances intelligentes. « Nous faisons le pari que ces associations d'entreprises de secteurs d'activité différents innoveront avec à la clé des retombées immédiates pour des applications de la vie de tous les jours », conclut-il. Comme tient à le souligner Clarisse Angelier, seule une initiative à « l'échelle européenne peut permettre de développer un écosystème durable et économiquement attrayant sur et autour de la Lune ».
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La Commission européenne pourrait relancer à son compte l’idée de Village lunaire de l’Agence spatiale européenne
Dans ce but, l'ANRT prévoit « la rédaction d'un narratif sur l'idée que nous nous faisons de l'exploration lunaire » de façon à commencer à impulser des coopérations avec des acteurs du non spatial sur des projets lunaires. L'objectif est d'aider l'Europe à avoir un « positionnement moins dans l'ombre des États-Unis et de la Chine ». Plutôt que les États-Unis dictent la politique de recherche et de développement lunaire de l'ESA en lui confiant la réalisation de modules pour le gateway lunaire et le module de service du véhicule Orion, la Commission européenne pourrait relancer à son compte l'idée de Village lunaire de l'Agence spatiale européenne. L'expression village lunaire (Moon village) ne signifie pas « que l'on va construire sur la Lune un village avec des écoles, des maisons et une mairie », nous expliquait en janvier 2016 Franco Bonacina, le porte-parole du directeur général de l'ESA. Il s'agit de fédérer des idées sur l'exploration de la Lune, de façon à coordonner en bonne intelligence de futures activités lunaires robotiques et humaines à partir de la fin de la décennie 2020.
Des entreprises de secteurs d'activités hors spatial poussées à investir dans l'exploration
Pour comprendre cet intérêt à investir massivement dans l'exploration de la Lune, il faut se rendre compte « qu'il y a tout un écosystème à mettre en place ». Le retour sur la Lune, ce n'est pas seulement des fusées et des vaisseaux ! Une présence permanente sur la Lune d'ici 2040 nécessitera des éléments d'infrastructures essentiels dans des domaines liés à l'énergie, à la mobilité, aux transports, à la production, à l'alimentation, à la santé, à l'eau et à l'habitat. Plutôt que de laisser aux États-Unis la mainmise sur tous ces sujets, « l'installation permanente de l'Homme sur la Lune dans un esprit d'autonomie complète et durable est une opportunité pour les Européens, un projet fédérateur et inspirant ». C'est aussi une plateforme d'innovations avec des retombées importantes pour la Terre et l'espace.
Si cette initiative doit être commune, la France avec une « volonté politique forte est en capacité de prendre le leadership de cette initiative ». Aux côtés d'Arianespace pour la logistique et le transport spatial, le CEA et Air Liquide pour la fourniture d'énergie et l'utilisation des ressources lunaires par exemple, des entreprises comme Vinci ou Bouygues pour la réalisation de structures habitables, l'Inra pour l'agriculture et la nutrition lunaires, ou la Comex pour son expertise dans le travail en milieu extrême, « toutes ont un intérêt certain à s'intéresser à l'exploration de la Lune », qu'elle soit humaine ou robotique.
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