De la disparition des dinosaures à Armageddon, les astéroïdes apparaissent dans l'imaginaire collectif comme une menace pour la vie terrestre. Et si la probabilité de chute d'un astéroïde " tueur " est faible, " on sait que cela va se produire sur le long terme. Mieux vaut s'y préparer ", souligne Patrick Michel, astrophysicien à l'observatoire de Côte d'Azur et principal investigateur de la mission Hera. Tel est l'objectif de la mission de défense planétaire Hera, qui a franchi une étape décisive le 15 septembre avec la signature d'un contrat industriel de 130 millions d'euros impliquant 70 entreprises européennes.
Objectif : modifier la trajectoire de l'astéroïde
Hera, c'est le pendant européen de la mission américaine Dart (Double asteroid redirection test) qui doit être lancée par SpaceX en juillet 2021 en direction de l'astéroïde double Didymos qu'il atteindra l'année suivante. Ce système binaire est composé d'un corps principal de 750 mètres de diamètre et d'une petite lune de 170 mètres, Dimorphos, qui tourne rapidement autour de lui à une distance de 1,2 km. Le 30 septembre 2022, alors que le système sera au plus près de nous, les observatoires terrestres seront braqués vers Dimorphos au moment où il sera percuté par Dart, avec l'objectif de modifier sa trajectoire. " Cela va générer une queue semblable à celle d'une comète ", indique Ian Carnelli, directeur de la misssion à l'Esa.
Le choix de Didymos s'explique par la taille relativement modeste de sa lune, proche du seuil de 140 mètres au-delà duquel les objets sont définis comme potentiellement dangereux à l'échelle d'un pays, voire d'un continent. Ce seuil de catastrophe est celui qui déclencherait une opération de déviation si l'objet était sur une trajectoire de collision avec la Terre. En dessous, l'objet a de fortes chances d'exploser dans l'atmosphère ou de provoquer des dégâts très locaux s'il ne tombe pas dans les océans qui composent les deux tiers de la planète. " On estime entre 13.000 à 20.000 la population d'objets de plus de 140 mètres, dont on ne connaît qu'environ 30%. Ces objets ont une fréquence d'impact tous les 10.000 ans ", explique Patrick Michel.
Deuxième volet de ce programme de défence planétaire, la mission Hera doit partir en octobre 2024 de Kourou à bord d'une fusée Ariane 6 pour rejoindre à son tour Didymos, quatre ans après l'impact. " C'est le premier rendez-vous avec un astéroïde double, sorte de système Terre-Lune en miniature, s'enthousiasme Patrick Michel. Ces systèmes binaires représentent 15% des astéroïdes. " Initialement, la mission européenne devait accompagner Dart de concert, mais l'agence spatiale européenne a d'abord fait volte-face en 2016 pour finir par donner son feu vert en novembre 2019... Ce délai de quatre ans n'aura pas de conséquence au final, car les changements sur des corps dépourvus d'atmosphère ne se produisent qu'à des échelles géologiques. Hera va ainsi mesurer le ralentissement de la trajectoire de Dimorphos dû à l'impact et sa période orbitale autour du corps principal. Elle dressera également une image 3D du cratère, tandis que la caméra infrarouge fournie par l'agence spatiale japonaise servira pour sa caractérisation thermique.
Deux cubesats seront aussi de l'expédition, Juventas et Milani, une première à l'ESA. Le premier embarque un radar basse fréquence, semblable à celui qui équipait Philae, l'atterrisseur de la mission Rosetta qui a suivi la comète Tchouri de 2014 à 2016 " afin de cartographier la structure interne de l'astéroïde, sa porosité, ses éventuelles cavités, etc. des paramètres fondamentaux pour l'expérience en cours ", souligne Ian Carnelli. Le deuxième cubesat, Milani, porte le nom du mathématicien italien, qui a imaginé cette technique de déviation il y a 20 ans. Il a pour objectif principal de cartographier la composition minéralogique de l'astéroïde grâce à sa caméra multispectrale qui l'étudiera dans différentes longueurs d'onde. Un autre instrument analysera les poussières susceptibles d'être soulevées par des impacts de micro-météorites, une hypothèse émise à l'occasion de la mission américaine Osiris-Rex en orbite autour de l'astéroïde Bénou depuis décembre 2018.
Des simulations d'impact à améliorer
Hera et ses deux cubesats vont ainsi pour la première fois explorer la structure interne d'un astéroïde, dont on ne connaît aujourd'hui que la densité, une donnée importante pour améliorer les modèles numériques de simulations d'impact, difficiles à calibrer dans des conditions de faible gravité. " Lors de la mission japonaise Hayabusa 2, une expérience d'impact a été réalisée en avril 2019 avec un projectile de 2kg lancé à la vitessse de 2 km par seconde vers l'astéroïde Ryugu, se souvient Patrick Michel. D'après nos calculs, cela aurait dû former un cratère de 1 à 3 mètres de diamètre. Or on a obtenu un cratère de 15 mètres ! Or l'âge des surfaces des corps du système solaire est basé sur le nombre de cratères, leur taille, tout ça repose sur l'estimation de la taille du projectile par rapport à la taille du cratère. " Estimations qui pourraient être radicalement remises en question par les missions Dart et Hera... Or ces connaissances seront capitales pour les futures missions de retour d'échantillons ou pour l'exploitation des ressources des astéroïdes, comme le promeuvent des Etats comme le Luxembourg, notamment pour la conception d'outils. A la fin de la mission, les deux cubesats vont atterrir à la surface pour comprendre ses propriétés d'élasticité, quant à Hera, il est envisagé de la faire atterrir sur l'un des pôles de Didymos.
" Hera, c'est aussi une mission de démonstrations technologiques, notamment celui de la navigation autonome de proximité ", précise Ian Carnelli. La sonde est équipée d'une série d'instruments dédiés à la navigation en se positionnant par rapport aux étoiles et à la détection autonome des reliefs à la surface de l'astéroïde. Elle pourra ainsi calculer seule les manœuvres d'approche au plus près de l'astéroïde, jusqu'à seulement 150 mètres de la surface sans communication nécessaire avec la Terre. Cela devrait être utile pour des missions futures.
Les missions Dart et Hera, sont une sorte d'assurance-vie pour protéger la planète, conclut Ian Carnelli, et la source d'une coordination internationale pour faire face à un problème planétaire. Dans une période aussi particulière que celle que nous vivons aujourd'hui avec la pandémie, c'est un bon message de montrer qu'en travaillant ensemble on peut trouver des solutions globales pour éliminer un danger.